Puisqu’on peut raconter des histoires de pêche, j’en ai quelques unes, dont celle çi qui remonte déjà à loin…
Cela s’est passé sur la Juine, un affluent de l’Essonne, un pur chalk stream, fruit d’une résurgence.
Une rivière calme, d’une limpidité d’eau minérale, avec de grands herbiers de renoncules riches en larves d’éphémères, abris de belles farios.
Typiquement une rivière à pêcher à la mouche…
Justement, j’avais repéré la semaine d’avant un beau poisson que j’espérais bien faire à la nymphe à vue.
Donc, j’arrive en fin d’après midi avec un ami, avec tout notre attirail, les lunettes polaroid sur le nez, une Parabolic Power Plus pour mon collègue et une Farlow pour moi, en bambou refendu, bien sûr (je vous ai déjà dit que cette histoire datait).
Et, damnation, il y a un autre pêcheur sur la rive opposée.
Ce gêneur, irrévérencieusement surnommé « Le Baveux » (je n’ai jamais su pourquoi) était affligé d’une myopie qu’auraient pu lui envier trente six taupes, qu’il tentait de corriger avec des lunettes aux verres épais comme des hublots de Boeing, ce qui lui donnait l’air un peu égaré d’une chouette surprise en plein soleil.
J’ai dit « tentait de corriger » car il portait en plus autour du cou, attachée par un lacet, une loupe du type Sherlock Holmes utilisée pour les travaux délicats.
Pendaient aussi autour de son cou, au bout d’une ficelle, une pince dégorgeoir et, ce qui nous intéresse davantage, un carré d’amadou pour sécher les mouches artificielles….
Il était assis sur la berge, sa boîte à mouches ouverte à côté de lui, plongé dans des travaux mystérieux sur son bas de ligne, parfaitement indifférent à notre déconvenue.
Je surveillais malgré tout attentivement l’herbier qui devait abriter mon poisson, quand, brusquement, je reçois un coup de coude de mon collègue dans les côtes.
Une petite fumée bleue s’élève du morceau d’amadou.
« Le Baveux » avait réussi l’exploit improbable et parfaitement involontaire de mettre en alignement le soleil couchant, sa loupe et l’amadou. Du coup, très intéressés, nous avons attendu la suite des évènements sans rien dire.
Progressivement la fumée s’est épaissie quand tout le carré d’amadou a pris feu.
Réalisant d’un seul coup, le brave homme s’est relevé en sursaut en balayant avec des grands moulinets des bras le carré d’amadou en flamme et est parti furieux en jurant des « nom de dieu de bo…el de me…e », tandis que nous nous tenions les côtes…
On peut être cruels quand on a vingt ans….
Finalement, je l’ai piqué, cette truite, en nymphe à vue, sur une mouche de ma fabrication en poil de phoque teint en vert sur hameçon de 16 avec un bas de ligne en 12/100eme…
Elle faisait 850 g.