Elle s’est passée à deux doigts de chez moi, où nous avions réussi à constituer une chasse, en pratique individuelle, mais avec mise en commun du tableau…
Je dois dire que, l’après midi, une bonne partie des participants restaient à se prélasser dans notre cabane de chasse, écroulés sur un vieux canapé défoncé, comptant pour faire le tableau sur quelques acharnés, en particulier votre serviteur et ses chiens.
Il arrivait que, pour compléter un tableau squelettique, on soit amené à organiser un « fermé de canards » pour que tout le monde puisse rentrer chez soi avec une pièce de gibier…
Cette « chasse » aux canards se pratiquait en encerclant un étang, plutôt une grande mare, où vivaient en permanence une vingtaine de col verts, régulièrement agrainés, ce qui les avait confirmé dans leur attitude d’oiseaux domestiques…
En fait, ces oiseaux servaient d’appelants, car nous avions construit un gabion sur cet étang où il nous arrivait de faire la passée…
Ce jour là, j’avais proposé à ma mère de venir voir mes chiens en action.
Son âge (74 ans) ne l’empêchait pas d’avoir des mollets d’acier et une condition physique irréprochable, entraînée qu’elle était par la pratique de la randonnée en montagne.
Aussi ai je chassé toute la matinée, suivi de ma mère et de ma femme, papotant joyeusement derrière moi malgré mes fréquents rappels (infructueux) au silence…
Après le déjeuner, tandis que les « mous des rotules » restaient au rendez vous de chasse, nous retournons sur le terrain où mes deux suiveuses, toujours la langue bien pendue, avalaient sans problème labours et guérets.
Le soir, le tableau était mince…
Aussi, pour étoffer celui ci, est décidée la fameuse chasse aux canards…
Donc, nous encerclons l’étang, sans que cela fasse ni chaud ni froid aux canards qui continuent placidement à nager en rond.
Je n’avais pas mis de cartouches dans mon fusil, car je connaissais la musique.
Mais j’étais très attentif au comportement des trois loustics, connus pour être des chauds de la gâchette, qui avaient « sprinté » pour investir les meilleures places, justement en face de nous, à une cinquantaine de mètres de l’autre côté de l’étang.
Maintenant, il fallait faire voler ces sacrés canards….
Déjà mon chien Ut s’était jeté à l’eau et nageait vigoureusement à leur poursuite, sans autre résultat que d’accélérer la cadence de nage des canards, qui se contentaient de faire le tour de l’étang en passant en revue les chasseurs postés.
Un téméraire s était avancé sur une langue de vase, en gesticulant et en poussant des cris pour effrayer les oiseaux. Le seul effet fut l’effondrement de la vase, et nous l’avons vu lentement s’enfoncer, dans le plus pur style « naufrage du Titanic », jusqu’à disparaître complètement (seuls dépassaient les canons du fusil) pour ressortir, crachant, jurant et tempêtant, sans résultat notable sur les canards qui continuaient imperturbablement leur périple circulaire, toujours suivis par Ut.
Inutile de préciser que ma mère, ma femme et moi suivions les évènements avec un sourire béat….
Enfin un chasseur inventif tenta une autre méthode.
Armé d’un long branchage, avancé dans l’étang à la limite des bottes, il se mit à frapper l’eau vigoureusement en poussant de grands cris.
L’effet fut immédiat !
Manifestement à contre cœur, les canards se sont décidés à décoller et à entamer un tour d’étang…
Oh, pas bien haut…
Seulement à hauteur d’homme.
C’est là que ma vigilance a porté ses fruits.
J’ai vu, en face de nous, les trois fusils se lever et les trois chasseurs épauler.
J’ai lâché mon fusil, empoigné par le col ma femme de la main gauche, ma mère de la main droite, et j’ai plongé au sol en les entraînant, tandis qu’éclatait une pétarade et que les impacts de plombs déchiquetaient les buissons au dessus de nous…
C’est là que ma mère, le nez dans l’herbe, pas plus perturbée que ça, s’est tournée vers moi avec un sourire malicieux pour me confier : « Dis donc, ça a l’air dangereux, ta chasse »……
