Je me permets de prendre le clavier pour vous raconter, sans lyrisme j'espère, le drame que nous avons vécu en cette semaine, et dont le malheureux protagoniste est notre cher setter anglais, Emario du sentier des lutins.
Tout commence à la mi-avril, lorsque Emario, après un mois et demi d'absence, revient chez lui dans le Sud de la France après sa première saison de Printemps. Sa mémoire étant sélective, il fait immédiatement le siège de la cuisine, profite des faiblesses des membres de la famille si heureux de retrouver son phénomène en se servant si bien de son regard larmoyant. S'il a travaillé sa quête et sa prise d'émanation avec une certaine discipline, il n'a pas oublié sa célèbre feinte à la fin des repas "je monte sur tes genoux pour te lécher le visage, avant de plonger dans ton assiette, et le cas échéant, faire mien de tous tes restes". Les propriétaires non-conducteurs connaîtront peut-être cette période où l'on autorise beaucoup (trop) à son chien qui a tellement manqué au foyer. Toujours est-il qu'après dix bons jours de ce traitement de sultan, Emario s'élargit, et à son athlétisme printanier, se substitue un inquiétant embonpoint pré-estival. De plus monsieur commence à s'ennuyer et renoue avec ses mauvaises habitudes, déterrer les plantes vertes, arracher le linge et déchirer les coussins. Une décision s'impose : il faut crever Emario en le faisant courir quatre bonnes heures dans la garrigue.
Le samedi 28 avril, mon père sort à 10 heures et prend la route de la Gineste, entre Cassis et Marseille, direction le massif des Calanques. De mon côté je me rends à la librairie de Cassis, où je dois effectuer mon week-end de garde. En rentrant avec ma mère à une heure de l'après-midi, nous constatons avec étonnement que le portail est grand ouvert alors que la voiture de mon père est garée devant la porte. Nous rentrons dans la maison et mon père nous annonce "Le chien s'est enfui". Après une heure où le chien répondait parfaitement au sifflet, revenant selon les indications de son maître, au détour d'un lacet, a disparu dans la végétation de la Gardiole. Les spéculations fusent : il s'est grisé après dix jours d'abstinence, il a été volé. A deux heures, mon père reprend la route pour poursuivre les recherches. A 19 heures, je quitte la librairie et rentre à la maison qui est déserte. Tout l'après-midi, j'ai multiplié les coups de téléphone, à la maison, auprès de ma mère, sans aucune nouvelle. Je suis assez inquiet. Et mon inquiétude lorsque mon père fait son retour, seul. Quatre fois, il aura fait l'aller-retour dans le val où Emario a disparu, il a interrogé tous les randonneurs et les cyclistes qui empruntaient le sentier, et personne n'a vu un chien blanc. Il a même poussé jusqu'au col de la Gineste, sans aucun succès. Un ami de la famille a prévenu des gardes forestiers, rien. Je téléphone à la police municipale, rien. Nous effectuons une dernière vérification avant la tombée de la nuit, mais le chien n'est pas revenu à la voiture. Je marche pendant une heure en appelant le chien, rien. Ma mère et mon épouse se sont cassés les cordes vocales plus tard, avec le même insuccès. Lorsque la famille fait le point à 23 heures, le moral est au plus bas : il fait nuit, cela fait plus de 9 heures que le chien a disparu, et Emario s'apprête à passer une nuit dans les Calanques, alors que le vent du Sud se déchaîne, et que la pluie est très forte. Mon père reste stoïque, mais il a du mal à ne pas s'effondrer. Nous passons tous une mauvaise nuit, en pensant à Emario.
Lorsque je me réveille le dimanche 29 avril, la maison est à nouveau vide. Mon père est reparti sur le fameux sentier, ma mère du côté de Marseille. Alors que je descends vers la librairie, mon téléphone sonne, l'écran annonce "maman", je décroche : mon père a retrouvé Emario !! Immense soulagement, quel bonheur. Toute la matinée je vais appeler pour reconstituer ce qui s'est passé : Emario a eu la malchance au détour d'un bosquet de se prendre dans un collet destiné aux renards, près d'un point d'eau, non loin de l'endroit où il a été perdu de vue. Le chien ne pouvait aboyer sans refermer l'étau autour de son cou, ne pouvait avancer. Etant donné la distance du collet, il est même probable que le chien n'a pu s'allonger pendant la nuit. Il a réagi aux nouveaux coups de sifflet de mon père, alors que le vent était moins fort, et a pu pousser un faible cri rauque, et relever la tête hors de la végétation alors que mon père se dirigeait vers lui.
Je voudrais tout d'abord avertir tous les amateurs de ce site qui seraient amener à faire courir leur chien dans les Calanques, et plus spécifiquement dans cette zone de la Gardiole. Manifestement des collets illégaux et non-annoncés y sont posés (par qui ? la société de chasse cassidaine ?) et peuvent êtres fatals pour les chiens. Nous nous apprêtons à dénoncer cette pratique dangereuse, et je voulais donc vous faire part de ce fait.
La deuxième chose, et bien sûr la plus importante, c'est manifester toute mon admiration pour Emario, qui a fait montre d'un moral de fer. Pendant près de 24 heures, le chien est resté sur ses quatre pattes, le cou serré, comprenant vraisemblablement la gravité de sa situation, et qui a lutté pendant toute une nuit sous la pluie et le vent. Emario a eu confiance, n'a pas cédé, et c'est uniquement grâce à sa volonté (j'exagère sans doute), qu'il est aujourd'hui vivant.
Je vous rassure, il va maintenant très bien, a repris sa place sous la table à l'heure du dîner, attendant les derniers coups de fourchettes pour récupérer son du.