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Une sortie (pourtant) ordinaire


L’aurore, dans ses lueurs rosées, laisse déjà présager d’une belle journée pour un trente
décembre. Pour l’instant, l’hiver n’est pas au rendez vous. La végétation qui semble déjà prête à débuter son cycle de printemps risque fort de payer ces caprices du temps.
Sur la route, j’aperçois les crêtes du massif du Canigou au sommet tout juste enneigé, à peine dissimulé par sa fine écharpe de brume.
La jeune setter à l’arrière du 4x4, s’approche de mon épaule comme pour me rappeler qu’elle n’apprécie guère les déplacements en voiture.
Et puis le portable, cette merveille de communication indispensable de notre monde moderne, éclaire soudainement l’habitacle et m’informe que mon compagnon du jour ne sera pas là pour me guider.
Je poursuis mon chemin et arrive enfin à » BOULE », l’un des derniers bastions de la plaine avant le Conflent.
Une visite à Michel, le patron du café, s’impose. Il m’indique le lieu de la battue aux sangliers et me remet l’invitation en me conseillant un secteur. C’est la première année que je me lance en quête de dame bécasse et seulement ma deuxième sortie, préoccupé jusqu’à lors par l’éducation de ma petite compagne sur les perdrix rouges des garrigues, dans les Corbières. Elle a fait preuve de réelles capacités, exprimant une grande passion et pour l’heure je n’espère donc qu’une chose: la mettre en situation sur une mordorée.
J’avale mes deux cafés et repars.
Je quitte la petite route sinueuse qui s’enfonce dans la montagne pour descendre le chemin caillouteux menant à la rivière. Comme j’arrête la voiture à proximité de la chapelle en ruine, je remarque l’herbe verte du talus. Malgré la sècheresse, le cours d’eau parvient tout de même à dégager suffisamment d’humidité pour entretenir un semblant de pâture sur la partie dégagée de ses bordures.
Je procède au cérémonial d’usage, vérification du matériel, une poignée de cartouches dans la poche, le battant de la campane…, m’équipe et libère la jeune chienne qui entame une course folle sur la berge dégagée.
Décidant d’une exploration en amont, j’indique à Viga la direction à prendre.Le site se fait progressivement plus étroit et couvert. De part et d’autre, de hautes murailles de schiste et granit indiquent l’entrée des gorges.
Somptueux. Acacias et peupliers sont toujours fournis, les ronciers ont conservé toute l’agressivité de leurs épines. La monnaie de pape apporte sa touche argentée tandis que la lumière verticale diffuse quelques rais qui pénètrent le feuillage, parvenant à donner au site une atmosphère de lieu de culte. Je progresse gentiment, contemplatif, le regard sans cesse attiré par la limpidité de l’eau glissant doucement entre les galets gris et poncés. Quelques amas de troncs et de branchages témoignent pourtant de la violence du courant lors de fortes précipitations.
J e me laisse envahir profondément par cette quiétude et ne réalise pas de suite que l’écho de la sonnaille ne me parvient plus. Une reprise timide du tintement attire alors mon attention. Un premier arrêt que je n’ai point perçu s’est assurément transformé en coulé avant ce nouveau verrouillage. Viga est maintenant sûre, je suis en confiance et la sais droit devant moi, certain qu’elle n’avait pas franchi le ru. J’affronte quelques ronciers et la découvre figée sur un petit clair.
Si la pose un peu haute ne mériterait peut-être pas de figurer au palmarès des prises de vue élitiste du club du setter anglais, elle est faite d’autorité, fermeté redoutable et implacable. Son sujet est parfaitement dominé, maîtrisé.
Dans l’émotion qui me gagne soudainement, j’appuie à deux reprises sur le déclencheur de mon vieil instantané et remonte jusqu’à la chienne qui, tendue à l’extrême, semble prendre l’émanation jusque par ses pores. Je caresse son échine, et, fébrilement, l’incite à avancer un peu plus, lui tapotant l’arrière du crâne. Elle ne bronche pas. Je la dépasse de quelques mètres. Subitement, les claquements d’ailes de l’oiseau qui monte au travers des branches brisent la sérénité des lieux, suivis aussitôt d’une détonation.
Au comble de l’excitation, Viga s’est précipitée dans la direction de l’envol dépassant même le point de chute. Nez au sol, elle fouille la végétation à la recherche de Son oiseau. Le premier.
La bécasse gît sur un lit de feuilles jaunes en bordure du cour d’eau. A la jeune chienne qui revient et finit par retrouver sa trace, je lance un » prends ! »Sans violence elle s’en saisit et me contemple, visiblement heureuse et fière. Quelques marques d’affection et je tends la main dans laquelle Viga lâche sa proie. Je reste là à caresser l’oiseau, lissant ses plumes, pris d’un sentiment étrange fait de joie bien sûr, de satisfaction mais aussi de doutes et de regrets. Je me dis alors que pour ce qui me concerne la saison vient de se terminer. Comme s’il s’agissait d’un aboutissement. La venue tant convoitée de cet instant magique et mystérieux.
Je pense aussitôt à Cathy et Adrien, les amis luchonnais qui m’ont offert Viga, petite blue belton qui me permet aujourd’hui d’accéder à la plénitude, mais également à Jacques, le confident, parfois même confesseur, qui a su éveiller en moi cette quête permanente de… l’Emotion, tout simplement.
Certes l’occasion me fut donnée de rencontrer quelques oiseaux au cours de mes activités cynégétiques précédentes, mais le rêve qui persistait était bien de posséder un jour ce chien, l’artiste capable de négocier avec cette insolence les émanations les plus délicates, et de me retrouver enfin dans un biotope permettant l’expression, la définition même de cette chasse. Aujourd’hui c’est l’image idéale, rare. Celle qui s’imprime au plus profond de la mémoire de l’homme désireux un jour de changer de cap pour connaître d’autres aventures. Il faut parfois savoir faire preuve de patience et de conviction. Ne pas forcer son destin et attendre cet instant où les principes essentiels que sont passion, amour du chien et biotope, s’unissent enfin pour vous offrir ce moment privilégié dans les circonstances et les conditions parfaites. Le bonheur.
Qu’il soit pardonné à ceux qui ne comprendraient pas.

J.L.FRANCES

Je te félicite Jean Laurent !...Je te sais bon compagnon, attentif à l’autre (tu me l’a prouvé en début de saison lors de nos sorties sur « rouges » en supportant la fougueuse Alma), mais je te sais aussi pudique et forcément tu as du corriger le premier « jet » de ton écrit par peur de trop te dévoiler. Dommage !..mais l’essentiel reste et j’ai perçu avec délice tous les aromes de ce bon vin fort qui fait la vraie chasse.
Votre première bécasse : Bravo Viga !! Cet instant se conjuguera toujours au présent et pour te le prouver, sans vouloir te voler la primeure, je t’écris ce petit mot :
L’Oiseau se trouvait là à vingt pas de moi en contre jour dans les rayons rasants du soleil levant. Auréolé d’une lumière douce, diffuse et humide sur la bande herbeuse du petit chemin j’apercevais encore la tête légèrement levée et les deux ou trois mouvements du bec d’où s’échappait la vie. Je sens encore le poil mouillé de Dahlia qui ce jour là m’ouvrit la première page d’un grand livre de classe dont elle allait devenir la maîtresse !...J’espère avoir été bon élève. Elle court maintenant dans les étoiles les nuits de migration…17 ans déjà, mais c’était notre première bécasse : LA BECASSE, et comme tu le dis : « L’image idéale, rare. Celle qui s’imprime au plus profond de la mémoire de l’homme »
Salut l’Ami ! Jacques Mossan

C'est à lire et relire... maintenant que la saison se termine...
Ceux qui ont de jeunes chiens vont rêver à la saison future...
c'est beau de rêver et de lire de si belles histoires....
Merci à toi...

Blue a écrit :

C'est à lire et relire... mainteant que la saison se termine...
Cux qui ont de jeuenes chiens vont rêver à la saison future...
c'est beau de rêver et de lire de si belles histoires....
Merci à toi...

+1

Hum! Bravo

qu'elle douceur dans ce texte, tout l'invisible, toute l'émotion de ces moments sont là, merci et bravo.

Très beau texte. On a l'impression d'y être!

mossan jacques a écrit :

Une sortie (pourtant) ordinaire

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Je me dis alors que pour ce qui me concerne la saison vient de se terminer. Comme s’il s’agissait d’un aboutissement. La venue tant convoitée de cet instant magique et mystérieux.
Jacques Mossan

Très beau texte !
C'est vrai que banaliser des instants comme celui-ci en le multipliant par .. trente serait un vrai gâchis !

Nordstrom a aimé le nom des crêtes du massif, il voudrait bien y aller

Très beau récit, en plus ce sont des moments gravés dans notre mémoire, la première, comme pour sa première fille............

Bonjour,

Merci J.L pour ces quelques lignes, elles reflètent parfaitement la passion que tu peux mettre dans les discussion qu'il t'arrive d'avoir avec moi. Après avoir vu quelques photos, je peux, je pense et sans prétention aucune, m'imaginer le contexte ... peut être un jour pourais-je le vivre en direct, en tout bien tout honneur.
A quand le suite ?
Une personne qui préfère rester anonyme...

Merci de cette magnifique prose, je la lirais le soir à ma fly pour l'endormir et lui rappeler cette mordorée qui fait battre nos coeurs
Merci !

jaraillet à écrit: "Mossan Jacques a écrit"...En fait je n'ai fait qu'envoyer un texte écrit par J.L. Frances et lui ait adjoint un petit mot .Rendons à César ce qui....

juste une remontée d'archives de 2007 ..pour cause de joli texte !!

Très beau texte.

Mon Dieu que c'est beau
Merci encore