Ce n'est que bien plus tard, vers la trentaine, que je me suis laissé convaincre par une équipe de copains de passer les dimanches à courir les champs à la poursuite des lièvres et perdrix. Mon père, qui ne chassait plus guère, était heureux de pouvoir enfin partager les histoires de chasse avec moi et ne manquait pas d'évoquer les souvenirs des compagnies entières de gris arrêtés dans les champs de betteraves par ses épagneuls, de bécassines levées dans les marais, d'affût aux pigeons ou aux canards.
Mais, si j'étais capable de répondre à ces récits par des aventures personnelles, lorsqu'il abordait le sujet "bécasse", j'étais muet, cette chasse et cet oiseau m'étant inconnus. Sa façon d'en parler révélait une sorte d'autre univers, un peu mystérieux, qui me faisait rêver.


Et ce rêve a duré plusieurs années. Les prés et champs de maïs n'offrent guère d'occasion de voir une bécasse, même s'il arrivait qu'il s'en arrête une parfois au pied d'une grosse haie en novembre. Nous abordions le seul "bois" ou plutôt "gros bosquet" de notre territoire avec l'espoir d'un lapin, d'un faisan ou, le soir, d'une passée aux grives.
Après avoir "adopté" Laïka, une superbe bluebelton... qui avait peur des coups de fusil mais qui fut une super ambassadrice des setters auprès du reste de la famille, j'avais eu Roxy, autre blue, mais que j'ai certainement bien mal dressée, chassant plus souvent en groupe avec des chiens "à tout faire", plus courants que d'arrêt.
Ce dimanche 20 décembre 1981, D., notre hôte, décida d'aller faire le petit bois le matin, alors que commençaient à voltiger quelques flocons. Chacun rejoignit son poste habituel pendant que les chiens vadrouillaient sous les prunelliers. J'étais dans la petite carrière, la neige tombait plus drue et la journée de chasse allait sûrement tourner court. Roxy était disparue depuis un petit moment lorsque je l'entendis aboyer ! Regardant d'où venait le bruit, je vis arriver, louvoyant à travers les branches, un oiseau roux, que j'identifiai sans trop y croire... Un tir au coup d'épaule, un paquet de plumes et l'oiseau qui tombe au milieu du taillis qui recouvre un fossé. Je cours, vite rejoint et dépassé par Roxy, Je m'arrache la peau des mains et du crâne et je rejoins Roxy qui, la truffe dans les plumes, se grise de l'odeur de cet oiseau qu'elle avait probablement levé. Sa première bécasse, notre première bécasse ! À genoux dans le fossé, l'oiseau dans une main, caressant ma Roxy de l'autre, alors que la neige tombait maintenant à gros flocons, je savourais ce moment unique, qui reste, malgré les années, malgré une éthique non conforme,

