Le Forum des passionnés de Setter Anglais

 
Avatar de l’utilisateur
J.LO
Juste débourré
Juste débourré
Sujet Auteur
Messages : 147
Inscription : 09 févr. 2007 21:21

Cours particulier

18 avr. 2008 16:37

Cours particulier

Quelque part du côté de LUCHON, dernier week-end d’octobre 2004.
Les Pyrénées. Panorama toujours aussi grandiose. Des sensations qu’il fait bon inhaler. Un envahissant parfum de liberté. Ces magnifiques pics luchonnais aux crêtes parfois acérées qui mériteront plus tard de donner leur nom à un affixe. Les hautes pâtures aux couleurs changeantes animées par la rotation du soleil d’où parviennent les tintements des sonnailles bovines, les massifs de rhododendrons mais aussi de myrtilles qu’on se régale de béqueter au passage. L’eau fraîche et sauvage des ruisseaux jaillissant en cascade au fond des combes rocailleuses.
Les deux petites chiennes s’ébattent dans ce paysage intact, provoquant quelquefois le jeu dans leurs courses effrénées à flanc de montagne, trébuchant et roulant sur les pentes herbues. Par instants, elles paraissent attentives, presque concentrées, attirées peut être par une effluve, l’envol d’un passereau, ou l’attitude de leur mère qui analyse une émanation.
Dans cette immensité se trouve un bois. Un bois d’une poignée d’hectares doté pour les initiés d’un point de repère: un arbre, presque un symbole local. Afin de préserver l’intimité du site je ne prononcerai pas son nom mais avec l’accent du pays, ce conifère déjà majestueux prend de suite une autre dimension.
C’est justement ce bois que nous contournons pour regagner notre voiture, minuscule point blanc, en bas, au fond de la vallée.
La saison de la perdrix grise s’achève et cette sortie du samedi ne restera pas celle de la mise en situation pour nos deux petites dernières âgées tout juste de cinq mois.
Adrien semble tout à coup hésitant. Le montagnard qui n’est pourtant pas du genre à ralentir le pas, se retourne comme pour mieux se focaliser sur ce qu’il vient de percevoir. Un bruit. Un simple bruit étouffé venant à peine de l’intérieur du bois. Un claquement d’ailes. Questionné sur le sujet, j’avoue que je n’ai guère prêté attention. Et puis Ranguy, la mère de nos petites n’a pas tenté la moindre virée sur le site.
Le lendemain, ce claquement d’ailes retentit encore dans la mémoire d’Adrien. Il résonne autant que la pluie fine et serrée qui s’abat sur la région.
Dans la nuit le ciel s’est chargé et la température a nettement chuté. La journée semble donc bien compromise mais l'ambiance me convient.
Cathy refait du café. Proche de la cheminée, les chiennes sont adorables à contempler, enroulées dans les corbeilles. Douce et paisible atmosphère, loin de tout.
Échanger quelques mots, les arômes mêlés de café, pain grillé et tabac blond, le crépitement des bûches. Le temps est suspendu.
Vers dix heures pourtant, la voix d’Adrien fait bondir Ranguy de sa couche : « on y va !»
La chienne entraîne au passage ses deux filles jusqu’au devant de la porte d’entrée.
La décision ne laisse aucun choix. Et comme tout le monde est déjà prêt, j’embarque moi aussi dans le 4x4 et c’est parti.
Effectivement la situation météo semble s’améliorer. La pluie laisse progressivement sa place à une brume légère. Pourvu que la limite de la neige soit suffisamment haute ! C’est le cas. Certes, si les conditions ne sont peut être pas idéales elles restent parfaitement acceptables.
Nous sommes partis sans sacs, légers, car la sortie ne devrait pas s’éterniser. Juste le temps de vérifier ce claquement d’ailes.
L’ascension se fait par la gauche afin d’éviter le bois qui sera visité en descendant.
Tout en haut du mamelon nous décidons tout de même de prospecter un tombant avant de nous replier .Les semelles de nos chaussures peinent à nous maintenir en équilibre sur cette pente raide à l’herbe trempée et glissante.
Ranguy est devant sur la droite, presque en crête. Les deux jeunes paraissent aujourd’hui assez indépendantes. Je manque un peu de souffle et ne suis pas Adrien qui monte. Une étroite coulée tracée par le bétail me permet d’avancer enfin le pied bien à plat.
Vaea descend sur ma position. Elle vient au contact et me dépasse, empruntant également la coulée, tandis que Viga disparaît en contrebas.
Puis Vaea ralentit sa course et bifurque sur la gauche, face à la pente. Elle ralentit encore puis s’arrête. J’hésite brièvement avant de saisir qu’il s’agit bien d’un arrêt. Un arrêt pourtant bien tendu. Je m’apprête à alerter Adri qui se retourne à cet instant et comprend.
La suite est un départ de perdreau, un coup de feu dans la brume et un oiseau sauvé un jour de fermeture.
Qu'importe. Ce que nous retenons plus que tout, c’est cette première mise en situation pour Vaea. Sa sœur, revenue sur ses pas, semble avoir enregistré la scène. Il ne faudra pas bien longtemps pour le confirmer.
Un brusque changement d’attitude chez les petites se traduit par une grande excitation, une certaine forme de concurrence comme s’il fallait être la première à trouver quelque chose. Mais quoi! Cela ne dure pas.
Le temps pour Ranguy de reprendre les affaires en …pattes et de montrer qui est encore la maîtresse en ces parages.
Ses deux filles vont assister à leur première grande leçon.
Retournant sur nos pas, nous approchons du bois lorsque le collier de la mère se déclenche. Elle vient de se figer à une cinquantaine de mètres, juste en lisière sur le découvert. Sa position ne laisse aucun doute. Ranguy n’attend jamais un ordre pour couler. Le travail, elle le fait naturellement et si le collier se déclenche, il est préférable d’aller servir sans hésiter.
Je ne prends jamais le fusil à Luchon. C’est ainsi. Mon vieil instantané est resté quant à lui sur la table du salon. Dommage.
.Alors qu’Adrien s’approche, je n’ose intervenir sur les filles qui, au son du bip, déboulent simultanément. Pris de cours, ne sais comment gérer la situation et me pose tout à coup une multitude de questions: dois-je tenter de les ralentir afin de leur éviter de remonter trop brusquement? Les diriger? De quelle manière? Les stopper afin de ne pas risquer une tape et les voir se précipiter faire voler...
Je suis troublé, incapable de réagir. Trop de questions inutiles car je n’ai pas le temps d’intervenir et reste moi aussi figé à l’image offerte.
Vaea et Viga placées à égale distance de leur mère et d’elles mêmes, en retrait de trois à quatre mètres. Une figure cynophilogéométrique. Un triangle setterisocèle, que sais-je ? Il fallait bien inventer un nom pour cette figure. La scène me déconcerte.
Adrien m’avertit: « je la vois sur la pelouse ! ».
Quelques secondes et c’est l’envol. Je suis du regard la bécasse qui semble essuyer la gerbe, louvoie sur notre gauche en lisière puis pénètre et disparaît dans le bois. J’annonce un manqué, peut être un touché. Adri me répond : « non, elle est tombée là, juste devant les hêtres. » Effectivement les chiennes l’on trouvée de suite. Il y avait donc un pairon.
Nos deux petites sont invitées à s’imprégner la truffe et surtout la mémoire du parfum de la dame des bois.
Durant quelques instants, on refait le topo : le changement de temps obligeant les oiseaux en migration à ce cantonnement provisoire, Vaea sur le perdreau tout à l’heure, la prise de point de Ranguy…
D’ailleurs, nous l’avions presque oubliée la diablesse. Nous avions omis qu’en ces lieux c’était bien elle qui menait le bal. La meneuse de revue qui, depuis sa deuxième saison, n’avait aucun besoin de prendre connaissance des consignes au départ de l’action.
Adri avait bien vite compris qu’il fallait lui laisser l’initiative. Il suffisait de suivre, parfois c’est vrai, de localiser ses embardées, mais surtout faire confiance à son fabuleux sens de la place.
Et justement, comme pour nous rappeler qu’elle donne aujourd’hui un cours particulier, le bip se déclenche à nouveau sur la gauche.
A tenter d’aller au plus vite, nous affolons cette fois-ci les jeunes qui arrivent de face et font voler. Nous laissons faire.
Elles sont intenables. Nous en sommes convaincus, il vient incontestablement de se passer quelque chose.
Pas le temps de philosopher. Un autre déclenchement. Ranguy vient de retrouver la dame.
L’expérience démontre qu’ici, les oiseaux levés gagnent leurs cachettes secrètes pratiquement toujours à l’intérieur du même bois, rarement sur l’autre versant pourtant distant de quelques coups d’ailes. Et Ranguy les connaît. Guidés par le bip du collier, nous la retrouvons avec ses filles dans un nouveau triangle.
Dans la pénombre, seules les toisons blanches des chiennes se distinguent. Nous laissons l’action se prolonger lorsque soudainement l’oiseau part en chandelle dans l’épaisseur des sapins. Son contour apparaît furtivement sur une trouée. Un coup de feu secoue les ramures mais la belle nous salue bien.
Nous entamons alors notre descente vers la piste, la dernière partie de bois avant la prairie
L’ange d’Artémis qui nous accompagne aujourd’hui a décidé de nous gratifier d’un dernier présent.
Adri le sait. Sans me le dire, il est quelque part persuadé de cette dernière prise de point. L’ultime remise. C’est Ranguy qui lui avait un jour indiquée. Celle d’où généralement la belle disparaît, quitte définitivement le bois.
Au déclenchement du collier nous sommes encore loin. Adri me décrit le site. Il ne s’est pas trompé. C’est exactement ça.
Une nouvelle fois l’image est forte, prenante. La conclusion de la séance d’éducation pour les petites.
La dame n’aura laissé que son parfum. C’était sa dernière danse.

Le retour est silencieux. De longues minutes sans la moindre parole comme si chacun éprouvait le besoin de se recueillir, de remercier le ciel de lui avoir offert ces moments intenses en émotion. Comblés.
La route luisante, la brume qui tombe encore plus épaisse, la buée sur les vitres et l'odeur des chiennes trempées et fumantes. Sensation de bien-être malgré le froid de nos pantalons humides.
En traversant le hameau nous apercevons la silhouette de Pierre sortant du chalet. Le sourire complice et l'oeil malicieux du sage attendent un récit déjà imaginé. Il connaît Adri, sait que nous étions seuls dans le secteur et depuis sa demeure presque face au bois sur le versant opposé...Il partage avec sincérité notre satisfaction.
Rentrés à la maison nous recevons la visite de Bidouche dont l'enthousiasme communicatif nous ferait presque revivre les séquences.  « vous l'avez trouvée là, relevée à la remise dans le chablis ou sous le gros arbre couché... » Un vrai régal.
C'est enfin au tour de Jean-Michel de se joindre à nous. Il tenait à rencontrer Viga qu'il n'avait pas revue depuis sa naissance. Il est le papa du devenu célèbre géniteur.
L'échange est bien engagé lorsque mon esprit s'échappe de cette discussion authentique et passionnée. Ma mémoire ne cesse de projeter l'image de la dernière remise; Ranguy est restée bien longtemps sur cette place chaude et ce n'est pas dans ses habitudes. Inconsciemment je parviens à me convaincre qu'elle avait connaissance du départ de l'oiseau lorsque les petites l'ont patronnée. J'ai le souvenir de son oeil roulant sur le côté comme pour veiller ou observer sa progéniture. Comme si à cet instant, elle exprimait quelque chose: « elle est partie mais ceci n'est pas très important. Ce qui compte maintenant pour vous c'est de bien vous souvenir de son odeur. Respirez profondément les filles et faites comme moi. Tentez bien la tête pour lancer loin votre museau sur l'avant. Fléchissez bien les pattes pour être prés du sol. C'est votre dernier exercice, après je relève les copies. »
De ceci, je n'ai jamais parlé. Sans doute par crainte de passer pour un illuminé. Mais à ce jour il y a prescription, alors!
Et puis tout ça n'est peut-être que le fruit de mon imagination débordante.
Peut-être pas... J.Lo
 
Avatar de l’utilisateur
PASCAL G
Setterman
Setterman
Messages : 289
Inscription : 06 janv. 2007 20:02

18 avr. 2008 17:01

Magnifique, on s'y croirait!!!
 
Avatar de l’utilisateur
bannette26
Bluebelton'adict
Bluebelton'adict
Messages : 2392
Inscription : 17 avr. 2007 11:55
age : 31
Affixe : atis

18 avr. 2008 17:17

;;p;; je vais commencer par lire et je te dirais aprés ;;o;;
chasser le plus possible tout en tuant le moins possible
 
Avatar de l’utilisateur
co
Bluebelton'adict
Bluebelton'adict
Messages : 5058
Inscription : 24 janv. 2007 15:06
age : 45
Affixe : de la Patte Galine
localisation : hérault

18 avr. 2008 17:31

On connaissait les talents de conteur de Jaraillet, je constate qu'il n'est pas tout seul, magnifique récit qui m'a transporté dans tes montagnes pour me faire vivre une très belle partie de chasse en ta compagnie, pour ce délicieux moment
Bleuet la malice
 
Avatar de l’utilisateur
Swoop
Bluebelton'adict
Bluebelton'adict
Messages : 6487
Inscription : 05 janv. 2007 19:56
age : 35
Affixe : de la Combe de Borderant
localisation : chez moi
Contact : Envoyer un message

18 avr. 2008 17:59

superbe histoire , et une emotion qui se transmets .!!! excellent !!!
 
Avatar de l’utilisateur
Tangor
Bluebelton'adict
Bluebelton'adict
Messages : 5943
Inscription : 20 août 2006 11:05
age : 99
Affixe : des Blues Brothers
localisation : à la chasse
Contact : Envoyer un message

18 avr. 2008 18:34

Eh ben ! J.Lo n'écrit pas souvent, mais quand il le fait c'est de plume de maitre !
C'est pas comme ça que je vais me soigner !!!
Bravo et merci.
 
Avatar de l’utilisateur
pitof
Bluebelton'adict
Bluebelton'adict
Messages : 1857
Inscription : 03 mars 2006 15:45

18 avr. 2008 18:47

Magnifique récit !
setterforever
 
Avatar de l’utilisateur
jonget
Setters'adict
Setters'adict
Messages : 1375
Inscription : 24 juil. 2010 11:28
age : 36

18 avr. 2008 18:54

magnifique recit
:wink:
 
Avatar de l’utilisateur
dide
Setterman
Setterman
Messages : 437
Inscription : 14 mars 2005 12:27

18 avr. 2008 19:04

Cours particulier pour partenaires particulières... :)
 
Avatar de l’utilisateur
pétou
Bluebelton'adict
Bluebelton'adict
Messages : 8316
Inscription : 27 mars 2006 21:50

18 avr. 2008 19:39

:shock: magnifique plume, tout y est l'émotion, le paysage, les odeurs et la leçon de chasse d'une maman à ses filles
setters toujours
 
daniel-47
Setters'adict
Setters'adict
Messages : 1011
Inscription : 08 févr. 2007 16:29

18 avr. 2008 20:15

vraiment beaux récit tu as l'art des lettres :mrgreen: (moi qui écris mes récits de chasse je suis loin d'avoir cette écriture )
félicitations
 
Avatar de l’utilisateur
Vinc007
Bluebelton'adict
Bluebelton'adict
Messages : 3596
Inscription : 20 nov. 2007 15:54
age : 21
Contact : Envoyer un message

18 avr. 2008 22:01

Vraiment magnifique, je reste sans voix
:D
pour ce pure bonheur de lecture
:wink:
Un setter a la maison, un rève devenu réalité!!!!
 
Avatar de l’utilisateur
Blue
Webmiss inclassable
Webmiss inclassable
Messages : 38136
Inscription : 26 juin 2003 00:26
age : 90
Affixe : Nuts, Peggy, Blue
localisation : Aquitaine
Contact : Envoyer un message

18 avr. 2008 22:23

dide a écrit :
Cours particulier pour partenaires particulières... :)

joli plume aussi Dide :wink:
Vos récits me confortent dans l'idée de les rassembler quelque part sur papier un jour ...
ImageMon bonheur? le regard de mes setters...
 
Avatar de l’utilisateur
gege 40
Setters'adict
Setters'adict
Messages : 1083
Inscription : 01 janv. 2007 22:00

18 avr. 2008 22:58

Superbe récit empreint d'émotions, Merci :wink:.
 
le gaulois

19 avr. 2008 11:37

Merci pour ce récit. :wink:
 
Avatar de l’utilisateur
bannette26
Bluebelton'adict
Bluebelton'adict
Messages : 2392
Inscription : 17 avr. 2007 11:55
age : 31
Affixe : atis

19 avr. 2008 12:19

j'adore :wink: trés joli récit :)
chasser le plus possible tout en tuant le moins possible
 
Ourka

Re: Cours particulier

24 avr. 2008 01:01

;hell;
Magnifique, en lisant ce "cours particulier" on n' a pas l'impression que Scolopax Rusticola a quitté nos contrées et que nos pensionnaires sont en vacances. ;f;
 
Avatar de l’utilisateur
scolo38
Bluebelton'adict
Bluebelton'adict
Messages : 1646
Inscription : 06 avr. 2008 16:50
age : 42
Affixe : Du sous bois de Balmette
localisation : Dauphiné
Contact : Envoyer un message

24 avr. 2008 16:30

vraiment sympa ce reçit,j'en veux encore :wink:
la chasse c'est naturel......

http://dusousboisdebalmette.chiens-de-france.com